C’est lorsqu’une chose disparaît qu’on réalise qu’elle a toujours été tenue pour acquise. C’est peut-être, contre toute attente, ce qui menace l’abordabilité des logements au Québec. Certains seront sans doute surpris par ce constat, et pourront citer une pléiade de contre-exemples. Pourtant, les faits nous montrent que les coûts des propriétés, ou encore de la location d’un logement sont moins élevés au Québec que partout ailleurs au Canada.
Alors que l’on peut entendre à tous vents que se loger reste inabordable, les coûts liés à la propriété et à la location d’un logement sont encore moins élevés au Québec qu’à bien des endroits au Canada. En moyenne, selon le dernier recensement, les frais pour les ménages locataires (loyers, chauffage et autres frais) sont 37% moins élevés au Québec qu’en Ontario, et 41% moins élevés qu’en Colombie-Britannique. Quant aux frais des propriétaires québécois, ils sont de 30% moins élevés qu’en Ontario, et 38% plus bas qu’en Colombie-Britannique. Dans les deux cas, l'écart est bien plus important que les différences de revenus, ce qui signifie que d'autres facteurs entrent en jeu.
L’ensemble des coûts liés au logement est déterminé par le principe de l’offre et de la demande : le nombre de logements offerts d’un côté, et les personnes qui cherchent un logement de l’autre. Plus l'écart entre le nombre de personnes à la recherche d'un logement et le nombre de logements disponibles à l'achat ou à la location est grand, plus le coût de l'achat ou de la location sera élevé.
Une nouvelle étude de l’Institut Fraser s’est justement penchée sur cet écart dans les dix provinces canadiennes, en comparant la croissance annuelle de la population avec le nombre annuel de logements construits entre 1972 et 2022. Pendant cette période, on constate une augmentation moyenne de 1,9 personne par année pour chaque logement construit. Cependant, même si le nombre de logements achevés reste égal ou inférieur aux niveaux des décennies précédentes, on remarque que la récente croissance démographique porte à un niveau record de 4,7, le nombre de personnes par logement construit en 2022 au Canada.
Bien que l’écart entre le nombre de logements nécessaires et le nombre de logements construits au Canada n'ait jamais été aussi important, c’est au Québec que ce ratio est le plus faible. En 2022, le ratio de la province est de 2,8 personnes pour chaque logement construit. De 1972 à 2015, en moyenne, le Québec a connu une croissance démographique de 46 379 personnes par année et a construit 42 716 logements par année. Le Québec a ainsi pu atteindre un certain équilibre entre l’offre et la demande, ce qu’aucune autre province n’a réussi à faire au cours des dernières décennies, mais un spectre rôde tout de même…
Entre 2015 et 2022, la croissance moyenne de la population du Québec a atteint 84 847 personnes par an, tandis que la construction de logements est restée pratiquement inchangée (45 933 par an). Cela n'augure rien de bon pour la place du Québec en tant que province relativement abordable.
Il faut rappeler qu’en 2016, l'Ontario a atteint un déséquilibre similaire à celui que l’on voit au Québec, et que l'écart ne cesse de s’accentuer depuis (à l'exception de l'apogée de la COVID-19). Les conséquences de ce déséquilibre sont nombreuses : des coûts de logement historiquement élevés, des travailleurs et des étudiants qui éprouvent des difficultés à déménager pour obtenir un meilleur emploi ou pour étudier, de jeunes familles qui s’entassent dans des logements peu convenables, des personnes âgées qui ne peuvent emménager dans des lieux plus adaptés, etc. Ces problèmes, et bien d'autres encore, sont la réalité d'un nombre croissant de communautés canadiennes.
Les responsables politiques de tous les paliers de gouvernement prennent aujourd’hui la mesure de ces défis, et s'efforcent de trouver des solutions. Mais le temps presse. Il est bien plus difficile de démêler des décennies de mauvais choix politiques - qui ont simultanément gonflé la demande et restreint l'offre - que d'éviter de faire de tels choix en premier lieu. Les décideurs politiques du Québec devraient se concentrer principalement (voire uniquement) sur la réduction de l'écart entre l'offre et la demande afin de contrer la menace à l’abordabilité des logements. Lorsqu'ils examinent ou proposent des politiques, ils devraient se demander d’abord si cette décision va stimuler la demande, ou si par ailleurs elle restreindra l’offre. Et si la réponse est positive dans les deux cas, elle ne pourra pas résoudre les problèmes de logement du Québec, mais les aggravera.
Commentary
L’offre et la demande de logements au Québec: un équilibre menacé
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C’est lorsqu’une chose disparaît qu’on réalise qu’elle a toujours été tenue pour acquise. C’est peut-être, contre toute attente, ce qui menace l’abordabilité des logements au Québec. Certains seront sans doute surpris par ce constat, et pourront citer une pléiade de contre-exemples. Pourtant, les faits nous montrent que les coûts des propriétés, ou encore de la location d’un logement sont moins élevés au Québec que partout ailleurs au Canada.
Alors que l’on peut entendre à tous vents que se loger reste inabordable, les coûts liés à la propriété et à la location d’un logement sont encore moins élevés au Québec qu’à bien des endroits au Canada. En moyenne, selon le dernier recensement, les frais pour les ménages locataires (loyers, chauffage et autres frais) sont 37% moins élevés au Québec qu’en Ontario, et 41% moins élevés qu’en Colombie-Britannique. Quant aux frais des propriétaires québécois, ils sont de 30% moins élevés qu’en Ontario, et 38% plus bas qu’en Colombie-Britannique. Dans les deux cas, l'écart est bien plus important que les différences de revenus, ce qui signifie que d'autres facteurs entrent en jeu.
L’ensemble des coûts liés au logement est déterminé par le principe de l’offre et de la demande : le nombre de logements offerts d’un côté, et les personnes qui cherchent un logement de l’autre. Plus l'écart entre le nombre de personnes à la recherche d'un logement et le nombre de logements disponibles à l'achat ou à la location est grand, plus le coût de l'achat ou de la location sera élevé.
Une nouvelle étude de l’Institut Fraser s’est justement penchée sur cet écart dans les dix provinces canadiennes, en comparant la croissance annuelle de la population avec le nombre annuel de logements construits entre 1972 et 2022. Pendant cette période, on constate une augmentation moyenne de 1,9 personne par année pour chaque logement construit. Cependant, même si le nombre de logements achevés reste égal ou inférieur aux niveaux des décennies précédentes, on remarque que la récente croissance démographique porte à un niveau record de 4,7, le nombre de personnes par logement construit en 2022 au Canada.
Bien que l’écart entre le nombre de logements nécessaires et le nombre de logements construits au Canada n'ait jamais été aussi important, c’est au Québec que ce ratio est le plus faible. En 2022, le ratio de la province est de 2,8 personnes pour chaque logement construit. De 1972 à 2015, en moyenne, le Québec a connu une croissance démographique de 46 379 personnes par année et a construit 42 716 logements par année. Le Québec a ainsi pu atteindre un certain équilibre entre l’offre et la demande, ce qu’aucune autre province n’a réussi à faire au cours des dernières décennies, mais un spectre rôde tout de même…
Entre 2015 et 2022, la croissance moyenne de la population du Québec a atteint 84 847 personnes par an, tandis que la construction de logements est restée pratiquement inchangée (45 933 par an). Cela n'augure rien de bon pour la place du Québec en tant que province relativement abordable.
Il faut rappeler qu’en 2016, l'Ontario a atteint un déséquilibre similaire à celui que l’on voit au Québec, et que l'écart ne cesse de s’accentuer depuis (à l'exception de l'apogée de la COVID-19). Les conséquences de ce déséquilibre sont nombreuses : des coûts de logement historiquement élevés, des travailleurs et des étudiants qui éprouvent des difficultés à déménager pour obtenir un meilleur emploi ou pour étudier, de jeunes familles qui s’entassent dans des logements peu convenables, des personnes âgées qui ne peuvent emménager dans des lieux plus adaptés, etc. Ces problèmes, et bien d'autres encore, sont la réalité d'un nombre croissant de communautés canadiennes.
Les responsables politiques de tous les paliers de gouvernement prennent aujourd’hui la mesure de ces défis, et s'efforcent de trouver des solutions. Mais le temps presse. Il est bien plus difficile de démêler des décennies de mauvais choix politiques - qui ont simultanément gonflé la demande et restreint l'offre - que d'éviter de faire de tels choix en premier lieu. Les décideurs politiques du Québec devraient se concentrer principalement (voire uniquement) sur la réduction de l'écart entre l'offre et la demande afin de contrer la menace à l’abordabilité des logements. Lorsqu'ils examinent ou proposent des politiques, ils devraient se demander d’abord si cette décision va stimuler la demande, ou si par ailleurs elle restreindra l’offre. Et si la réponse est positive dans les deux cas, elle ne pourra pas résoudre les problèmes de logement du Québec, mais les aggravera.
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Josef Filipowicz
Senior Fellow (On Leave)
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