Le best-seller mondial de Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, a suscité plus de débats dans les milieux universitaire et intellectuel que tout autre livre d’économie des dernières années. Google affiche 11,8 millions de résultats de recherche sur ce livre, un chiffre stupéfiant.
Pourtant, aucun des critiques du livre n’a signalé que les statistiques utilisées donnent un aperçu de la distribution du revenu d’une population à des moments donnés, alors que la composition de cette population change au fil du temps. Il est plus pertinent d’étudier l’évolution des revenus dans le temps. Ce n’est que ces dernières années que les gouvernements ont commencé à publier ces informations de façon sporadique. Aux États-Unis, le Trésor américain a publié un ensemble de telles données; au Canada, Statistique Canada a publié des données que les médias ont pratiquement ignorées. L’Institut Fraser a publié une étude fondée sur des données que l’organisme a collectées à grands frais à cette fin.
Ces données canadiennes fournissent des informations sur la mobilité des revenus qui surprennent bon nombre de personnes : sur 100 travailleurs qui appartenaient au quintile de revenu inférieur en 1990, 87 avaient progressé dans l’échelle des revenus 19 ans plus tard, et 21 d’entre eux se trouvaient dans le premier quintile. La mobilité des revenus va aussi dans l’autre sens. Ainsi, 36 sur 100 Canadiens qui appartenaient au quintile de revenu le plus élevé en 1990 avaient régressé dans l’échelle des revenus en 2009.
L’analyse des données de l’Institut Fraser contredit les nombreuses rumeurs selon lesquelles ce serait la fin de la classe moyenne. Les familles canadiennes dont le revenu corrigé de l’inflation se situait dans le quintile inférieur en 1990 ont vu leur revenu progresser de 280 % en 19 ans. Sur la même période, le revenu des familles appartenant au premier quintile en 1990 n’a progressé que de 112 %, et le revenu des trois autres quintiles a augmenté de 153 %.
La dynamique de la distribution du revenu que ces statistiques révèlent découle surtout de l’évolution du revenu au cours d’une vie. Le salaire et la productivité sont faibles lorsque les personnes intègrent le marché du travail, mais ils augmentent avec l’âge et l’expérience de travail, puis diminuent à la retraite et lorsque des handicaps liés à l’âge font leur apparition.
Le revenu des personnes évolue aussi en raison de facteurs comme la maladie et les décisions personnelles (rester à la maison pour élever des enfants, retour aux études et changements de modes de vie). Dans les économies de marché du monde occidental, l’incidence de ces facteurs sur le revenu est limitée par un filet de sécurité sociale et les assurances privées.
L’énorme augmentation du revenu d’un pour cent des personnes les mieux rémunérées ces dernières années s’explique presque entièrement par la forte demande de services offerts par ces personnes, qui est attribuable à l’introduction des nouveaux médias électroniques et à la mondialisation.
Par exemple, les athlètes professionnels, les créateurs et les autres artistes peuvent être vus par des millions plutôt que par les quelques centaines de personnes qui entraient autrefois dans les stades ou les cinémas. Le salaire élevé des cadres s’explique par la mondialisation, qui a fait augmenter la taille des entreprises et la contribution des cadres au résultat. Ces professionnels ont vu leurs revenus progresser en raison de la concurrence sur le marché du travail et de la volonté des employeurs d’attirer les talents les plus prometteurs.
Thomas Piketty se trompe lorsqu’il conclut que les riches s’enrichissent et que les pauvres s’appauvrissent. Les statistiques sur la dynamique du revenu montrent en fait que tout le monde s’enrichit, et les pauvres plus rapidement que les riches. En bref, les arguments de M. Piketty pour des impôts confiscatoires sur le revenu et la fortune afin d’éviter des conséquences potentiellement terrifiantes sont simplement fondés sur les mauvaises données.
Commentary
Piketty fait fausse route
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Le best-seller mondial de Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, a suscité plus de débats dans les milieux universitaire et intellectuel que tout autre livre d’économie des dernières années. Google affiche 11,8 millions de résultats de recherche sur ce livre, un chiffre stupéfiant.
Pourtant, aucun des critiques du livre n’a signalé que les statistiques utilisées donnent un aperçu de la distribution du revenu d’une population à des moments donnés, alors que la composition de cette population change au fil du temps. Il est plus pertinent d’étudier l’évolution des revenus dans le temps. Ce n’est que ces dernières années que les gouvernements ont commencé à publier ces informations de façon sporadique. Aux États-Unis, le Trésor américain a publié un ensemble de telles données; au Canada, Statistique Canada a publié des données que les médias ont pratiquement ignorées. L’Institut Fraser a publié une étude fondée sur des données que l’organisme a collectées à grands frais à cette fin.
Ces données canadiennes fournissent des informations sur la mobilité des revenus qui surprennent bon nombre de personnes : sur 100 travailleurs qui appartenaient au quintile de revenu inférieur en 1990, 87 avaient progressé dans l’échelle des revenus 19 ans plus tard, et 21 d’entre eux se trouvaient dans le premier quintile. La mobilité des revenus va aussi dans l’autre sens. Ainsi, 36 sur 100 Canadiens qui appartenaient au quintile de revenu le plus élevé en 1990 avaient régressé dans l’échelle des revenus en 2009.
L’analyse des données de l’Institut Fraser contredit les nombreuses rumeurs selon lesquelles ce serait la fin de la classe moyenne. Les familles canadiennes dont le revenu corrigé de l’inflation se situait dans le quintile inférieur en 1990 ont vu leur revenu progresser de 280 % en 19 ans. Sur la même période, le revenu des familles appartenant au premier quintile en 1990 n’a progressé que de 112 %, et le revenu des trois autres quintiles a augmenté de 153 %.
La dynamique de la distribution du revenu que ces statistiques révèlent découle surtout de l’évolution du revenu au cours d’une vie. Le salaire et la productivité sont faibles lorsque les personnes intègrent le marché du travail, mais ils augmentent avec l’âge et l’expérience de travail, puis diminuent à la retraite et lorsque des handicaps liés à l’âge font leur apparition.
Le revenu des personnes évolue aussi en raison de facteurs comme la maladie et les décisions personnelles (rester à la maison pour élever des enfants, retour aux études et changements de modes de vie). Dans les économies de marché du monde occidental, l’incidence de ces facteurs sur le revenu est limitée par un filet de sécurité sociale et les assurances privées.
L’énorme augmentation du revenu d’un pour cent des personnes les mieux rémunérées ces dernières années s’explique presque entièrement par la forte demande de services offerts par ces personnes, qui est attribuable à l’introduction des nouveaux médias électroniques et à la mondialisation.
Par exemple, les athlètes professionnels, les créateurs et les autres artistes peuvent être vus par des millions plutôt que par les quelques centaines de personnes qui entraient autrefois dans les stades ou les cinémas. Le salaire élevé des cadres s’explique par la mondialisation, qui a fait augmenter la taille des entreprises et la contribution des cadres au résultat. Ces professionnels ont vu leurs revenus progresser en raison de la concurrence sur le marché du travail et de la volonté des employeurs d’attirer les talents les plus prometteurs.
Thomas Piketty se trompe lorsqu’il conclut que les riches s’enrichissent et que les pauvres s’appauvrissent. Les statistiques sur la dynamique du revenu montrent en fait que tout le monde s’enrichit, et les pauvres plus rapidement que les riches. En bref, les arguments de M. Piketty pour des impôts confiscatoires sur le revenu et la fortune afin d’éviter des conséquences potentiellement terrifiantes sont simplement fondés sur les mauvaises données.
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Herbert Grubel
Professor Emeritus of Economics, Simon Fraser University
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