Incertitude suprême des investisseurs
Le jugement récent rendu par la Cour suprême du Canada sur le titre ancestral de la Nation Tsilhqot’in en Colombie-Britannique devrait grandement préoccuper la population canadienne. En effet, ce jugement augmentera considérablement le degré d’incertitude dans le secteur canadien des ressources naturelles, et découragera probablement l’investissement et l’exploration au pays.
Plus de 12 % de la production économique du Canada est directement attribuable à la mise en valeur des ressources (énergie, foresterie et exploitation minière). Ces industries étant d’importantes sources d’emplois stables et bien rémunérés, à moins que le gouvernement ne prenne des mesures résolues pour réduire ces incertitudes, ces dernières assombriront l’avenir économique du Canada.
Malheureusement, la plupart des analyses de l’arrêt Tsilhqot’in, dont celle de Robin Junger, avocat chez McMillan et ancien sous-ministre de l’Énergie, des Mines et des Richesses pétrolières de la Colombie-Britannique, négligent l’effet le plus important de ce jugement : le risque accru d’un investissement dans le secteur des ressources naturelles au Canada.
Lorsqu’ils examinent les possibilités, les investisseurs consacrent un temps considérable à l’évaluation des différents risques (risque commercial, risque économique, risque politique, risque de change, etc.). L’assurance et les opérations de couverture permettent d’en gérer et d’en atténuer un grand nombre, mais certains, comme le risque politique, ne peuvent pas être gérés ni atténués, et exposent donc les entreprises à l’incertitude.
L’incertitude est l’un des plus grands obstacles à l’investissement des entreprises puisqu’elle est difficile, voire impossible à gérer, contrairement au risque, que l’on peut gérer lorsqu’on le comprend bien. Or l’une des principales conséquences de la récente décision de la Cour suprême du Canada est qu’elle augmente l’incertitude dans le secteur canadien des ressources naturelles, dans les régions où des traités n’ont pas été conclus avec les Premières Nations.
Là où des traités ont été conclus, il reste un certain degré de certitude. Par exemple, l’arrêt rendu le 11 juillet par la Cour suprême du Canada dans l’affaire de la Première Nation de Grassy Narrows a maintenu le droit du gouvernement de l’Ontario de « prendre » des terres et de délivrer des permis de mise en valeur de ces terres visées par le Traité no 3 de 1873. La différence radicale entre cette décision et l’arrêt Tsilhqot’in illustre l’importance des règlements et traités négociés lorsqu’on cherche à favoriser la mise en valeur des ressources au Canada.
Dans l’affaire Tsilhqot’in, pour la première fois dans l’histoire du Canada, un jugement a déclaré l’existence d’un titre ancestral à l’extérieur d’une réserve indienne. Et contrairement aux jugements précédents, l’arrêt Tsilhqot’in précise que le titre ancestral peut s’étendre à tous les territoires traditionnels sans se limiter à certains villages. Chose plus importante encore, une fois l’existence du titre ancestral reconnue, les projets de mise en valeur nécessitent le consentement de la Première Nation qui détient ce titre, sauf si le gouvernement est en mesure de démontrer que le projet poursuit un objectif impérieux et réel.
Si la Première Nation ne soutient pas un projet sur un territoire visé par le titre ancestral, même lorsqu’il existe depuis longtemps, selon l’arrêt Tsilhqot’in, le gouvernement « peut être tenu de l’annuler […] si la poursuite du projet porte indûment atteinte aux droits des Autochtones ».
En fin de compte, ce sont les tribunaux qui décideront du bien-fondé de chaque revendication et de la superficie exacte des terres visées par un « titre ancestral ». La réalité, cependant, est que cette voie procédurière crée une immense incertitude pour les investisseurs et détournera probablement l’investissement du Canada en raison du risque trop élevé. Autrement dit, il ne fait guère de doute que la décision de la Cour suprême paralysera l’exploration et l’investissement dans le secteur des mines, de l’énergie et des autres ressources naturelles jusqu’à ce que la situation se clarifie et qu’il y ait plus de certitude.
Par exemple, depuis ce jugement, la Première Nation Gitxsan en Colombie-Britannique a distribué des avis d’expulsion ordonnant aux compagnies forestières, aux pêcheurs sportifs et au CN de quitter le territoire traditionnel qu’elle revendique le long de la rivière Skeena, invoquant l’arrêt Tsilhqot’in en guise de justification. Ainsi, dans des provinces comme la Colombie-Britannique, où plus de 100 % des terres sont revendiquées par les Premières Nations, les projets de mise en valeur ou en cours d’exploitation pourraient être menacés par la revendication d’un titre ancestral.
Le Canada est un petit pays exportateur dont les gisements de ressources naturelles sont de classe mondiale. Néanmoins, en cette époque de mondialisation croissante, nous devons concurrencer d’autres pays ou États pour attirer des investissements. Ainsi, dans le secteur de l’exploitation minière, de nombreux autres pays ou États – dont l’Australie-Occidentale, le Nevada, la Finlande, l’Alaska et la Suède – sont aussi attrayants que le Canada, voire plus.
L’arrêt Tsilhqot’in rend le Canada encore moins attrayant, car l’incertitude qu’il crée augmente nettement le risque d’investir au pays. Les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que les dirigeants autochtones doivent prendre conscience des conséquences néfastes des investissements perdus pour l’ensemble des Canadiens, et chercher à atténuer les incertitudes créées par les décisions de la Cour suprême.
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